Le foot dans les rapports sociaux

Introduction

Le Qatar organise pour la première fois, dans sa région géographique de proche moyen orient et d’appartenance socio-culturelle brassant tout l’espace arabophone et islamique, une version exceptionnelle de la coupe du monde de football en 2022.

L’événement est marqué également par d’autres exploits : l’accession de l’équipe nationale du Maroc au carré des grands et le retentissement qu’a eu cette réussite à l’échelle nationale et régionale ; pour 220 milliards de dollars d’investissement dans les infrastructures et promotion, une recette pour la FIFA qui s’élève à 7,6 milliards de dollars… du jamais vu dans l’histoire du foot!

Tant de réussites qui ont marquées les esprits certes, mais aussi un tournant historique dans le développement de cette rencontre internationale, de son organisation mais également dans une autre dimension sociale inter culturelle qui brasse l’espoir de quelques milliards de personnes à suivre cet événement.

Si l’unanimité est de mise pour accompagner et favoriser ce développement, en France et dans certains pays européens scandinaves particulièrement, la polémique et le clivage est profond entre deux positions : ceux qui boycottent la coupe du monde et ceux qui ne boycotte pas. La presse et les autres médias annoncent un chiffre important de 37% des Français qui boycottent contre une portion qui ne boycotte pas ou qui est restée neutre. Les mêmes sources vont jusqu’à parler d’un « malaise » des français face à cette organisation par un pays comme le Qatar.

Quelle est la raison ? l’origine de ce malaise ? est la question que nous nous proposons de développer à la lumière d’approches en sociologie et d’autres rapprochements issus de la psychologie sociale et de la psychanalyse.

En termes sociologiques, il est indéniable que le football aujourd’hui constitue un phénomène social : tout le monde y participe à l’échelle local, régional, national ou international, à l’occasion de la coupe du monde et d’autres rencontres de prestige ; il est fortement institutionnalisé et s’exerce dans l’équipe nationale, clubs, association, école, etc. ; il mobilise plusieurs groupes sociaux, agents et acteurs entre joueurs professionnels, sponsors, spectateurs, amateurs, encadrants, staffs techniques, entraîneurs, à en citer un échantillon, qui s’investissent dans le temps et dans l’espace, dans une dynamique qui se renouvelle, autonome et auto-génératrice de valeurs, de symboles, d’un discours.

Le « malaise des Français » est un fait social puisqu’il implique un collectif, et des rapports de force, qui a pour objet cette discipline footballistique à l’occasion de son organisation par un pays tel que le Qatar.

Pour cette première analyse, deux approches se proposent pour étayer ce point : les rapports socio-économiques et les rapports de « races ».

Le foot dans les rapports socio-économiques

Dans cette première approche, l’enjeu économique est réel puisque l’événement, son organisation, mobilise énormément de ressources humaines et matérielles, et engage une vision stratégique de développement sur le court, moyen et long terme.

En dehors de l’événement lui-même, l’histoire du foot et le foot lui-même participe dans chaque pays ou région d’appartenance socio-économique à une dynamique qui définit les rapports entre acteurs économiques et définit la répartition de la richesse qu’elle génère. D’où provient l’argent du foot ? et qui en profite ? bénéficie ?

L’argent du foot provient naturellement de l’organisation des événements, des compétitions, de l’apport des sponsors publicitaires, des investisseurs dans l’industrie ; et dans une certaine condition, en partie, de l’état ou des particuliers dans les clubs, associations ou d’autres contextes. Il profite aux pratiquants certes, mais principalement comme retour sur investissement aux sponsors et investisseurs ; l’état en profite doublement en ROI mais également comme levier de développement sur de grands chantiers.

L’investissement, de ce point de vue étatique, est stratégique et constituerait un énorme manque à gagner que les états engagent cette « guerre » économique et politique à l’occasion de chaque nouvelle organisation de la coupe du monde, par exemple. La présence d’Emmanuel Macron au Qatar est certes pour épauler l’équipe nationale, mais également pour ces intérêts économiques dont l’importance engage la politique au plus haut sommet.

Ce constat nous amène à poser la question des outils dont dépose l’état, par exemple, pour augmenter son profit à cette occasion?

Si partant de la logique évidente que puisque l’organisation requiert des compétences organisationnelles, techniques, logistiques, industrielles etc. que pour y participer directement il faudrait présenter un dossier solide à la construction du projet, la réalité du terrain montre qu’il existe d’autres « outils » ou moyens qui sont nécessaires pour préserver l’avantage ou le positionnement économique existant et « asseoir » de nouveaux contrats.

En relation avec ce deuxième point particulièrement, les médias sont une force majeure qui mobilisent l’opinion publique et permettent une telle pression.

Sur l’exemple de l’organisation de la coupe du monde par le Qatar, les arguments ne manqueraient pas aux médias pour discréditer cette organisation ou lui apporter un coup ou la forcer à un compromis économique tels que : la question de la condition de travail des travailleurs immigrés dans l’émirat, des droits de l’homme sur la question LGBTQ+, des femmes, de l’environnement et de l’empreinte carbone d’une telle organisation.

La puissance de la machine médiatique ferait que le Qatar et l’organisation de l’événement répondent par des éléments concrets à ces points. Par exemple, comment faire pour réduire l’empreinte carbone ? surtout si la France dispose d’une carte technologique à jouer là-dessus… ; Pareillement, sur les autres questions, les médias engagent la responsabilité, “l’argent” des uns et la “prestation” ou vente des autres.

Le foot « racial »

Dans une approche « identitaire » du fait social du malaise des Français dans le phénomène footballistique à l’occasion de l’organisation de la coupe du monde par le Qatar, nous nous posons la question du « message » que ce malaise essaie de communiquer, de ce comment la pensée sociale se résout-elle dans ce malaise symptomatique d’un clivage qui touche à la représentation sociale, à l’identité de tout un groupe.

Selon Doise « les représentations sociales sont des principes générateurs de positions liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisent les processus symboliques intervenant dans ces rapports ». Nous essayerons ici de voir alors, comment cette interaction de groupes s’insère dans la dimension symbolique ? et génère cette position de groupe ?

Il indique aussi que « Les représentations sociales ne peuvent s’envisager que dans la dynamique sociale qui, par le biais de rapports de communication, place les acteurs sociaux en situation d’interaction. Cette dynamique sociale, lorsqu’elle s’élabore autour de questions importantes, suscite des prises de positions spécifiques, liées aux insertions sociales des individus. Ces prises de position dépendent aussi des situations dans lesquelles elles sont produites. »  Et insiste sur l’importance du langage et de la communication dans ce processus.

Dans la situation évoquée précédemment nous nous intéressons aux groupes sociaux qui appartiennent à l’ensemble socio-culturel français, à ceux qui boycottent et ceux qui ne boycottent pas l’événement.

Parmi ceux qui boycottent nous pouvons citer : les LGBTQ+, les partisans de cette communauté, les écologistes parti ou associations, l’EELV, les sympathisants de Jean-Luc Mélenchon, etc. ; Parmi ceux qui ne boycottent pas il y a la FFF, l’équipe nationale de foot, les groupes de supporters de l’équipe nationale, Emmanuel Macron qui par sa présence aux jeux du Qatar atteste de cette appartenance, entre autres.

Dans les cas cités précédemment, chaque groupe est porteur d’une prise de position qui se justifie de principes générateurs de cette prise de position.

A titre d’exemple, au nom de la promotion de la discipline et de l’activité sportive en général, la FFF encourage la pratique pure et dure de la discipline, et fait abstraction de l’aspect politique, économique ou culturel que pourrait symboliser cet exercice.  Au nom des droits humains des LGBTQ+ à la non-exclusion et à leur droit de manifester leur appartenance de genre, la communauté agit en appelant au boycott de l’événement. Pour des raisons économiques et politiques, l’état français en la présence active de son président, renfonce les liens de partenariat géostratégique en l’occasion de cet événement.

Plus loin et en règle générale, selon Rouquette, « l’activité cognitive [à l’origine de cette prise de position] ou son résultat manifeste se trouve davantage rattachées à une appartenance socioculturelle spécifiques qu’aux propriétés supposées objectives de l’information à traiter. En outre cette filiation est révélatrice de cohérence et de continuité. »

En prenant en compte les éléments précédents et mettant en perspective la description de Durkheim de la vie collective : « La vie collective comme la vie mentale est faite de représentations en quelques manière comparable ; extérieures aux consciences individuelles, s’imposent à l’individu, ne sont réductibles à des faits de nature ni à une collection de faits individuels ; partagées par l’ensemble d’une société, sont stables, résistantes à l’épreuve du temps (contrairement aux représentations individuelles à la forte variabilité), le changement n’arrive qu’exceptionnellement dans les conditions extraordinaires » , nous pourrons supposer que ce qui constitue la vie de groupe ou des groupes sociaux évoqués précédemment et qui est différent d’une collection de faits individuels participe de la vie collective. Reste à trouver cet élément méta représentatif, doté d’une profonde dimension symbolique, qui mettrait d’accord tous ces groupes et au même temps leur permettrait d’articuler leurs propres logiques de groupes.

Autrement, quel est ce point d’ancrage symbolique dans ces dynamiques relationnelles qui permettrait d’une part de rendre compte de leur réalités objectives mais au même temps de montrer ou de justifier de la cohérence identitaire d’un tel tout ? C’est l’élément identitaire le plus cité, par exemple, qui reprend la trilogie : Liberté, Egalité, Fraternité, des valeurs républicaines qui uniraient toutes les représentations de l’espace culturel français dans leurs déclinaisons et articulations logiques. Dans ce sens, et en mobilisant le principe de liberté « à la française », le boycott des uns ne contredit pas le non-boycott des autres.

Dans un autre contexte socio-culturel, du Qatar par exemple, l’emblème national est représentatif d’un Palmier, de la Mer et d’un Epée pour désigner les valeurs au centre de la culture qatarie d’accueil, de don et de générosité que représente le palmier, la prospérité de la pétro économie que représente les dons de la Mer (ou de la Terre), et l’Epée symbole de la défense nationale.

Ce qui est liberté dans un contexte socio-culturel comme celui de la France, qui est centrés sur soi, se heurterait, dans sa déclinaison ou articulation, dans un autre contexte socio-culturel tel que le Qatar, à un principe tel que celui que représente le palmier : d’accueil, de don et de générosité, qui est tellement centré sur l’autre.

En conclusion,

La mise en œuvre de deux approches sociologiques : socio-économique et « identitaire » nous a permis d’analyser sur l’exemple du « Malaise français » à l’occasion de l’organisation de la coupe du monde au Qatar, l’enjeu économique et rapports de force que cela implique dans la dynamique de ces rapports d’une part, et d’autre part, d’un point de vue identitaire, touchant à la représentation sociale qui constitue le noyau de la pensée sociale à l’origine de cette prise de position, de comprendre que ce malaise est une invitation à transcender sa condition actuelle mais dans un tout qui reste cohérent dans un espace socio-culturel tel que celui de la France qui a la liberté comme valeur emblématique.