Les analyses des pratiques scolaires contredisent-elles les théories de la reproduction ?

La question suggère que l’école, lieu des pratiques scolaires, est l’objet d’études macrosociologiques qui se fondent en partie des théories de « reproduction » ou du constructivisme structuraliste ; et au même temps, qu’elle fait l’objet d’études plus microsociologiques, d’enquête et d’analyse des pratiques scolaires. Ce premier constat est propre à toute démarche scientifique que de justifier de la solidité d’une théorie en la confrontant à son application dans le monde réel et par conséquence, une théorie est d’autant plus solide que son application n’est contradictoire. Dans quelle mesure donc, viennent les analyses microsociologiques des pratiques à l’école, contredire l’explication constructiviste structuraliste du fait constaté ?

Pour étudier cette question, il est nécessaire, dans un premier temps, de poser l’école comme
objet d’étude de la théorie constructiviste structuraliste. Une fois cet objet est caractérisé, en toute
abstraction des analyses pratiques, il paraît judicieux, dans un deuxième temps, de le contextualiser
dans le contexte de l’époque pour dégager une base à l’étude éventuellement contradictoire de l’objet
théorique et son contexte en évolution. Autrement, à quel niveau de perception ou d’appréhension se
positionnerait le contradictoire de l’objet et sa réalisation ?

Focus sur le constructivisme structuraliste de Bourdieu et dégagement de repères d’analyse des pratiques scolaires

La théorie constructiviste structuraliste est posée par Pierre Bourdieu dans une mouvance
générale de sociologie nouvelle qui tente de sortir des oppositions classiques entre sociologues et en
particulier des trois écoles : marxienne, durkheimienne et wébérienne. Selon Corcuff, dans Les
nouvelles Sociologies, il a « su combiner trois des « pères fondateurs » de la sociologie, que l’on a
traditionnellement opposés avant lui ».

Dans Choses dites, Bourdieu dit sur le structuralisme : « Par structuralisme ou structuraliste,
je veux dire qu’il existe, dans le monde social lui-même […] des structures objectives indépendantes
de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs
pratiques ou leurs représentations. » il laisse clairement entendre l’existence : de structures sociales
« autonomes », objectives et déterminantes sur deux plans : « imaginaire » de représentation et
« réel » de pratique. Il n’est pas pourtant précisé s’il s’agit d’un agent individu ou d’un groupe
d’individus. Si elles sont déterminantes c’est qu’elles en sont « capables » pour se différencier de
l’action des acteurs et indiquer que ces acteurs peuvent être agis dans leurs actions à ne les considérer
à l’absolu comme agents de ces structures ; il y a nuance à ne considérer les agents comme dépourvus
de toute possibilité d’action surtout que ces structures sont objectives et donc, appréhendables par
l’outil scientifique. Comment de telles structures pourraient-elles exister en société ? et en même
temps être capables de la déterminer ?

Pour répondre en partie à cette question, Bourdieu introduit la notion du constructivisme, il
dit : « Par constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part des schèmes de
perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle l’habitus, et d’autre part des
structures sociales, et en particulier de ce que j’appelle des champs. » et indique qu’il y a genèse
sociale d’habitus et de son champ d’action, de sa structure. Autrement dit, l’habitus nait des schèmes
individuels sans équivaloir à leur somme arithmétique pure et dure. Il aurait une « vie » qui s’articule
dans une structure que son appréhension relèverait de la problématique générale d’objectiver la
question humaine dans sa complexité, psychologique, psychanalytique, sociologique,
anthropologique, historique, etc. mais qui n’exclut l’existence de lois à cette articulation !

Par la même occasion, Bourdieu présente une méthodologie de travail sur ces questions en
considérant justement cette multitude de schèmes, individuels ou de groupes d’individus, et
d’indiquer qu’ils participent à une telle genèse sociale. La question dès lors, est de comprendre par
quels mécanismes cela est rendu possible ? dans tous les cas, le travail de Bourdieu n’est détaché de
la réalité, du travail d’enquête. Corcuff, dans ce sens, dit dans Les nouvelles sociologies : « il a
développé par ailleurs une œuvre multiforme sur de nombreux terrains, en veillant à ce que
l’élaboration théorique ne soit jamais totalement détachée du travail d’enquête. »

Quelles conditions et mécanismes de structuration du sujet ? quel objet de structuration ?

Sur le principe d’unité du sujet, la subjectivité se constituerait dans un premier temps, selon
Bourdieu, par « intériorisation de l’extériorité », de l’habitus. Allant de soi, comme système unifié,
cette subjectivité est durable, transposable, « vivante », « dotée de principes générateurs » etc.
relevant plus d’un « non-conscient » qui a sa propre logique et qui n’est pas en opposition avec le
conscient, qui se rapproche plus de la notion freudienne et lacanienne « de l’inconscient ».

Ce qui relèverait du conscient et se constituerait dans les champs, selon Bourdieu, serait dans
le registre d’une « illusion biographique », la face apparente d’une « extériorisation de l’intériorité »
qui n’est pas nécessairement à l’opposé d’une « intériorisation de l’extériorité » comme semble
l’induire la tournure de la phrase. Cette notion explique plutôt, le fondement d’un état d’équilibre :
de relations de lutte pour maintenir un certain rapport de force nécessaire à cet équilibre. La conquête
pour marquer cet équilibre ne se limite pas à une capitalisation économique mais s’élargit à d’autres
types d’objets : en plus de l’objet économique, il y a l’objet culturel, politique, etc. et s’inscrit
généralement dans une recherche de sens, qui passe nécessairement par le langage, le discours ou tout
ce qui aurait « l’effet d’une théorie » comme discours relativement des plus recherché, logique, fondé
et propre à bousculer l’équilibre social.

Si le langage, le discours ou toute autre forme de rapport au langage, participe de l’effet d’une
théorie qui constituerait le conscient, il n’est pas moins sous-jacent à l’activité du non-conscient sur
le versant d’intériorisation de l’extériorité qui en est l’un des modes le plus privilégié.

Pour l’étude de tout fait social, en l’occurrence l’école, il est plus que judicieux de décomposer
ces deux formes de discours, d’en dégager les articulations et les recouvrements. Si la tâche est
d’autant plus aisée dans le premier cas, des études ou enquêtes macrosociologiques, s’agissant de
collectifs, elle l’est plus hardie dans le deuxième cas, dans lequel il est nécessaire de constater les
singularités dans les individualités les plus diverses… d’où l’intérêt d’analyses sur la voie plus
microsociologique.

L’école à l’épreuve microsociologique

Il est primordial de constater que l’école moderne est une institution d’une forme d’éducation
et non de l’Education telle qu’elle est définie par Durkheim dans son article Education. De cette
éducation participent nécessairement, la famille, l’entourage, les pairs, la culture, le langage, milieu
de travail, etc. en plus de l’école.

En considérant l’école dans son aspect extérieur de fonctionnement, elle est le lieu
d’interaction d’une multitude d’agents, acteurs, ou groupes, mais au minimum : les élèves, les pairs
et les enseignants, et les interactions que leurs instituent leurs rôles respectifs. En soi, cette
organisation est transposable dans un nombre de situations contemporaines et modernes des pays
occidentaux : la famille, associations, formation extra-scolaire, à n’en citer que celles qui concernent
une transmission de savoir et un mode particulier de transmission élève ou groupe d’élèves –
enseignant, pairs. Cette même organisation est présente dans nombre d’autres cultures
contemporaines sous d’autres formes et historiquement depuis toujours.

L’école est un lieu d’interaction réel, en acier et béton, et fonctionnel qui structure et instaure
un échange entre les différents agents, acteurs, rôle inter changeable dans le même réseau de l’école
d’une part, et soumis à l’influence d’autres sphères sociales d’autre part. Il y a un savoir à transmettre,
un besoin à répondre qui trouve son articulation dans cette forme d’éducation et d’enseignement et
pose la question légitime de pourquoi est instaurée l’école dans sa forme moderne ? quels discours
tentent de s’articuler dans cette nouvelle forme d’écoles au pluriel et d’éducation en particulier ?

La forme dont on discute, et dans le contexte particulier de la France et en référence au premier
chapitre du cours, est née au 18ème comme outil politique de l’Etat-nation qui oblige, rend obligatoire,
successivement et progressivement l’enseignement public, laïc et gratuit des garçons puis des filles.
Cette politique, dotée d’une certaine forme de pouvoir, de rapport de force, qui viserait dans ses
grandes lignes, à doter les individus « d’une subjectivité particulière : valorisation de la raison, de
l’idéologie méritocratique ».

Il est force de constater que l’école, dans la réalisation de cet objectif, s’est développée d’étape
en étape pour atteindre sa forme actuelle, et pose la question de la transition d’une étape à l’autre ?
ou de transformation d’une forme à l’autre ? de la continuité de pertinence de l’objectif dans ses
termes actuels ? ou pas, de ses écarts ?

Autrement, comment continuerait de s’articuler le discours de « valorisation de la raison, de
l’idéologie méritocratique » en parallèle d’un discours cette fois-ci « non-conscient », « inconnu »,
« inaccessible » à la raison, qui serait propre à dicter, par sa logique propre, ce mouvement ? par
l’entremise de contradictions, non dans le sens de mettre en question le discours tel qu’il est articulé,
mais de renseigner sur les points qui peinent à s’articuler ou tentent de s’articuler…


L’entremise de contradictions salutaires nécessaires à l’articulation propre d’un discours structuré par définition « non-conscient »

Sur un plan macrosociologique, plusieurs faits sont constatables par les enquêtes et analyses :
la pente croissante du nombre d’enfants scolarisés et la durée des études, l’effet de l’origine socio-
économique sur la répartition de ces enfants scolarisés selon leur accès et durée d’études, etc.


Sur un plan plus microsociologique, il est observable au moins : un effet du curriculum ou du
contenu scolaire, de langage, effet-maître, effet-établissement, effet-famille et ce, sur les trois
registres de Woods : du caché, du réel et du prescrit comme modèle d’analyse ou de description, ou
lorsqu’il s’agit du langage, du code restreint ou élaboré de Bernstein qui, pris dans un contexte
particulier, est en concordance avec le langage riche restreint par le contexte de pratique de William.
Se dégage de ces modèles, une perspective plus nuancée de comment aborder ces sujets sur plusieurs
plans ou registres d’analyse qui distingue ce qui de l’ordre du réel, de la réalité ou l’imaginaire et du
symbolique de prescription.


L’effet maître pose la question sur la situation d’interaction social, enseignant – élève, de ce
qu’elle pose comme défi, de la nécessité de revoir la formation des enseignants sur un plan
pluridimensionnel et continu comparable à celui des psychologues par exemple, et des psychanalystes
en particulier ; de sortir de ces schémas de quantité et valoriser la qualité sur le plan personnel de
l’élève certes, mais également de son enseignant.

L’effet établissement est également descriptif de cette situation d’interaction sociale et porte
une marque de plus à cette interaction enseignant – élève : le poids du lieu et de la conjoncture de son
établissement. S’y rajoute l’effet famille qui est aussi déterminant dans cette situation d’interaction
sociale, dans le choix direct ou indirect d’une orientation ou la définition d’un projet d’étude.


En constatation de tous ces faits, comment la théorie de Bourdieu, permettrait-elle de les
mettre en perspective ? pris de bloc, comme faits sociologiques à l’échelle macrosociologique
objectivée, il y a inégalité, déséquilibre ou écart à plusieurs niveaux entre le discours d’inauguration,
qui se veut un principe universel, allant de soi, préexistant, existant et pour toujours, et la définition
et articulation de sa politique de réalisation qui n’est pas en soi bonne ou mauvaise, puisqu’elle est
justifiable, qui s’adapte à la réalité des choses. Il y a un certain déterminisme inhérent à la persistance
de ce discours, qui s’adaptant aux réalités, aux faits réels qui s’imposent à ces réalités, ne cesse de
s’adapter, de faire peau neuve.


Ce déterminisme est foncièrement inhérent à la structure, à la singularité et à l’articulation du
sujet et qui se renouvelle ou pas à chaque appréhension d’un nouvel objet. Ce qui vient marquer le
non-renouvellement d’une telle appréhension est ce que pointent les études microsociologiques en
complément des constatations macrosociologiques, sur le versant subjectif dans la dialectique de
Bourdieu, de la nécessité de l’agent d’agir sur sa structure, d’être acteur de son propre changement
dans la perspective d’une société qui change et le perpétue en retour en tant qu’acteur agis ou agent !
c’est la capacité de l’agent d’agir rétrospectivement sur sa condition, d’être acteur, qui détermine le
fait que la structure social prenne ou pas…


Ce qui est sûr c’est que là où il y aurait réticence (contradiction) à voir une répétition
structurelle, de s’y ouvrir, de l’accepter et d’arriver à vivre avec, il y aurait un travail dans ce sens (de
dissoudre cette contradiction) au niveau de l’agent (acteur) qui participe d’un nouvel travail au niveau
collectif cette fois-ci qui détermine en retour l’acteur (agent) et le pousse à perpétuer cette recherche
de sens, comme si cette recherche en soi porte le processus et le fruit de ce processus qui le nourrit
en rétrospectivement de manière continuelle nécessaire à sa propre existence.